
DOSSIER Les tempêtes
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Les tempêtes (de l'instabilité à l’occlusion)
Etude de cas : La tempête du 24 janvier 2009 : La tempête Klaus
En météorologie, le vent désigne le mouvement horizontal de l'air. Sa mesure comprend deux paramètres : sa direction et sa vitesse ou force. La vitesse est exprimée communément en km/h ou m/s. Marins et pilotes utilisent les nœuds (1 nœud = 1,852 km/ h). La mesure du vent est toujours une moyenne sur une période donnée. La variabilité du vent (force, direction) en un endroit donné est généralement forte. C'est pourquoi les météorologues mesurent le vent « instantané » et le vent « moyen ». Le vent instantané est mesuré sur une période de 3 s, alors que le vent moyen est calculé sur une période de 10 minutes. Une rafale est une brusque augmentation du vent instantané, dépassant le vent moyen de plus de 10 nœuds (18 km/h). Lors d'une rafale, la direction du vent peut également varier, tournant quelquefois de plus de 45° par rapport à celle du vent moyen. Les rafales sont d'autant plus vigoureuses que l'air est instable (orages ou giboulées), le vent moyen est fort ou l'écoulement de l'air est perturbé par le relief (ou les constructions urbaines).
Une tempête est une zone étendue de vents violents générés aux moyennes latitudes par un système de basses pressions (dépression). Pour caractériser la sévérité d'une tempête, on prend donc en compte les valeurs de rafales de vent maximales enregistrées mais aussi la durée de l'événement et la surface de la zone affectée par les vents les plus forts (rafales supérieures à 100 km/h ou plus). Le terme de tempête n'est défini rigoureusement que dans les domaines de la météorologie marine et de la météorologie tropicale. Néanmoins, l'usage veut que les météorologues nomment « tempêtes » les rafales de vent approchant les 100 km/h dans l'intérieur des terres et 120 km/h (voire 130 km/h) sur les côtes. Lorsque le vent atteint ces valeurs, on va même qualifier de « tempête » la dépression à l'origine de ces vents. Ce terme désigne donc à la fois une zone étendue de vents violents et la dépression qui les génèrent. Aux latitudes tempérées, les tempêtes ont un diamètre de l'ordre de quelques centaines à quelques milliers de kilomètres et une durée de vie d'environ une semaine. En météorologie marine, une tempête correspond plus précisément à la force 10 de l'échelle Beaufort. Cette échelle, allant de 0 à 12, permet d'estimer la vitesse moyenne du vent en fonction de l'état de la mer. La force 10 correspond à des vents moyens de 89 à 117 km/h et des rafales de 110 à 150 km/h. En météorologie tropicale, on appelle « tempête tropicale » une dépression observée au niveau des latitudes tropicales ou subtropicales dont les vents moyens sont compris entre 62 et 117 km/h. Au-delà de ces valeurs, la dépression devient « cyclone tropical ».
Plusieurs tempêtes touchent chaque année l'Hexagone, présentant chacune des caractéristiques propres (trajectoire, dimension, vitesse de déplacement, stade de développement, etc.). Les zones touchées et les dommages occasionnés sont ainsi très variables. On distingue malgré tout deux principaux types de tempêtes sur la France : les tempêtes « océaniques » : les régions les plus exposées de l'Hexagone sont situées entre les Pays de la Loire et la Normandie. Sont également concernés, mais à degré moindre, le Poitou-Charentes ainsi qu'une zone s'étendant de l'Île-de-France au Nord et à l'Alsace. Le Sud-Ouest est moins fréquemment touché, en particulier l'intérieur des terres qui est rarement concerné et les tempêtes « méditerranéennes » : elles touchent principalement le Sud-Est et le Massif central, mais peuvent parfois déborder sur les régions avoisinantes. Elles sont souvent plus durables que les tempêtes océaniques et peuvent ainsi occasionner de gros dégâts. Outres les vents violents qu'elles génèrent, les tempêtes peuvent également être à l'origine de pluies intenses, d'une forte houle et d'une marée de tempête, c'est-à-dire d'une élévation anormale du niveau de la mer au passage de la dépression, provoquée par la baisse du poids exercé par l'atmosphère sur l'étendue d'eau qu'elle surplombe. L'élévation est alors d'autant plus sensible que la chute de la pression atmosphérique au niveau de la surface de la mer est plus importante.
Une tempête est toujours liée au creusement d'une dépression atmosphérique près du sol. Cependant toutes les dépressions ne produisent pas une tempête. L'évolution d'une dépression en tempête dépend surtout de la structure de l'atmosphère en altitude, en particulier de l'état du courant-jet. À nos latitudes, la position d'une dépression naissante par rapport au courant-jet ainsi que la structure de celui-ci conditionnent la formation d'une tempête. Une dépression évoluera d'autant plus facilement en tempête que les vents du courant-jet sont forts et que ces vents sont soumis à des variations importantes (accélérations, décélérations, changements de direction). La dépression se creuse en se rapprochant des extrémités du courant-jet et perd au contraire de son activité en s'en éloignant de celui-ci.
POUR ALLER PLUS LOIN
Le courant-jet (ou jet-stream) est un « tube de vent » très fort d'ouest, de 2 à 3 kilomètres d'épaisseur et de plusieurs milliers de km de long ; il est situé entre 8 et 12 km d'altitude (au sommet de la troposphère), selon la saison, et selon qu'il se situe plus près des pôles ou au contraire vers les tropiques. La présence du courant-jet est liée à un fort contraste de température aux moyennes latitudes entre d'un côté l'air chaud des latitudes tropicales et de l'autre l'air froid des zones polaires. La vitesse du vent dans ce courant-jet est proportionnelle à cet écart de température. Dans certaines conditions exceptionnelles, le vent peut atteindre dans le courant-jet la vitesse de 400 km/h (c'était le cas sur l'Atlantique lors des tempêtes de Noël 1999). Le courant-jet représente le mouvement général de l'atmosphère à la surface de la Terre. Il détermine les grands types de circulation atmosphérique des latitudes moyennes. En France par exemple, situation perturbée d'ouest, temps chaud par flux de sud, ou situation froide de nord ou de nord-est résultent de son évolution. Enfin, le courant-jet conditionne le creusement et l'activité des dépressions atlantiques. En moyenne, il est situé en été entre le nord de l'Amérique du Nord et la Scandinavie, circulant au nord des îles Britanniques, vers l'Islande et la Norvège. En hiver, il est plus rapide et se positionne en moyenne entre les Bahamas et la Manche.
Les vents les plus forts ne sont pas toujours observés au passage de tempêtes. Les orages sont à l'origine de vents forts et brefs (quelques minutes) sur une zone restreinte (quelques kilomètres carrés). Les cumulonimbus, nuages caractéristiques de l'orage, animés par des mouvements verticaux puissants, créent des rafales de direction imprévisible. Les trombes et tornades génèrent également des vents très forts. Ces phénomènes tourbillonnaires sont liés aux cumulonimbus, les nuages d'orages. Leur durée de vie n'excède pas une heure, mais plusieurs phénomènes peuvent se succéder. Enfin, dans les régions tropicales, les vents forts sont générés par des phénomènes cycloniques.
Etude de cas : la tempête du 24 janvier 2009 : La tempête Klaus a été générée par une dépression d'ouest « classique ». Son caractère remarquable est lié au courant-jet d'altitude, habituellement situé plus au nord en hiver. La dépression du 23 janvier, même si elle a été moins intense, résulte également de cette configuration. On peut comparer la tempête du 24 janvier 2009 avec celles de décembre 1999 : elles sont chacune associées à un courant-jet très rapide (400 km/h), positionné à des latitudes très basses pour la saison.

Sur l’image de gauche : observation du satellite NOAA 1 le 23/01/2009 à 14h30 et sur celle de droite, une observation réalisée par le satellite METOP2 le 24/01/2009 à 11h
Le vendredi 23 janvier à 12 heures UTC, un contraste de température est présent de l'Atlantique à la France, entre 40° et 50° Nord (isolignes en pointillés plus resserrées). Un courant-jet très rapide est donc situé au niveau de cette zone de contraste.

Température à 5500m d’altitude (500 hpa) (carte issue du modèle de prévision ARPEGE du 23/01/2009 à 12h UTC
Sur la carte des températures au milieu de la troposphère (environ 5 500 m d'altitude), le contraste de température est marqué du proche Atlantique à la France, avec de l'air chaud au sud (en jaune sur la carte) et de l'air froid au nord (en bleu sur la carte). Au sommet de la troposphère, le courant- jet s'étire, d'ouest en est, jusqu'à la France, avec des valeurs de vent de 250 à 300 km/h. Il est figuré sur la carte par les iso lignes noires, correspondant aux valeurs de vent de plus de 120 nœuds (250 km/h) observées au sommet de la troposphère.

Coupe verticale perpendiculairement au courant-jet, vitesse du vent en kn le 23/01/2009 à 12h UTC
Cette coupe perpendiculaire au courant-jet illustre ses principales caractéristiques : un tube de vent se déplaçant d'ouest en est à 9 000 m d'altitude, à plus de 300 km/h. Du 23 janvier 00 UTC au 24 janvier 12 UTC, suivons le film de la tempête en nous intéressant à la structure du courant-jet et à la position de la dépression. Sur les images suivantes, on distingue : le champ de pression au sol qui permet de positionner le centre de la dépression (cercle rouge), les zones de vent supérieur à 250 km/h (en vert et bleu) au sommet de la troposphère permettant de positionner les jets.


Le 23/01, entre 06 et 12 UTC, la dépression (cercle rouge) atteint le côté gauche du courant-jet. Une autre dépression, assez creuse (966 hectopascals), traverse la Manche : elle est située du côté gauche du jet, dans une zone de décélération de celui-ci (la vitesse passe rapidement de 350 à 250 km/h). Cette dépression a d'ailleurs été à l'origine d'un fort coup de vent sur la moitié nord de la France.

Le 23/01, entre 12 et 18 UTC, le jet, jusque-là presque rectiligne, se déforme nettement. La dépression de surface, de plus en plus creuse, se situe tout près de cette déformation du jet, correspondant également à une décélération de celui-ci. Toutes les conditions de formation d'une tempête sont alors réunies : jet très rapide, dépression de surface située du côté gauche du jet, déformation et décélération du jet dans la région de la dépression.

Le 24/01, entre 00 et 06 UTC, le jet est plus au sud et sa zone de décélération située sur le nord de l’Espagne. La dépression va donc concerner la moitié sud de la France tout en continuant de se creuser (965 hectopascals en arrivant vers la Charente-Maritime). Cependant, à partir de 06 UTC, la dépression s'éloigne du courant-jet et faiblit progressivement.

Le 24/01 à 12 UTC, le jet s'est éloigné de la France et sa vitesse a considérablement diminué (environ 250 km/h). La dépression commence à perdre de son activité (978 hectopascals en son centre). Les isobares sont toujours resserrées au sud et à l'ouest de cette dépression, sur le Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et l'Aquitaine, régions les plus touchées par cette tempête.
La formation des tempêtes
Il est plus aisé de commencer par étudier le passage d’une tempête avant d’étudier ça création. En effet, sur l’étude précédente, tous les acteurs ont été identifié, il va nous suffire dans cette partie de les reprendre un par un pour expliquer la formation de ces phénomènes. Reprenons l’exemple de la tempête KLAUS du 24/01/2009.

Nous pouvons voire la configuration à l’origine de la tempête, sur l’image ci-dessous, on observe un renforcement du phénomène.

9h00 plus tard, l’anomalie s’est renforcé et créé une sorte de puit. A l’avant, on constate un net blanchissement, il traduit la formation de masses nuageuses plus denses (image de gauche). De plus, l’anomalie s’enroule sur elle-même et se creuse davantage. Sur l’image de droite (12 heures plus tard), la dépression est à maturité.
En rouge, sur la carte, le tracé des vents les plus forts. Les zones en rouges représentent les vents de plus de 250 km/h. Ils coïncident avec la trajectoire de l’anomalie. Ces vents forment les courants de jet. Ils ont un rôle majeur dans la formation des dépressions, dans le renforcement ou l’affaiblissement de leurs activités et dans les trajectoires.

La position et l’intensité du courant jet varie principalement en fonction des saisons. En hivers, il est situé vers le nord de la France et en été vers l’Espagne.

Sur la carte des températures à 500hpa ou 5500m, on remarque une zone où les températures froides varient beaucoup (zone entourée en bleu). La formation des vents en altitude est formée par ce gradient de température. Plus il est brutal, plus les vents sont violents. Le courant de jet, est un tube de vent très fort qui influence la trajectoire et le développement des dépressions atmosphériques. On parle de « rail des dépressions ».
Reprenons l’enchainement :

Dans certaines conditions, l’anomalie froide en altitude, interagit avec l’anomalie chaude de surface, renforçant les mouvements verticaux et se renforçant l’une l’autre. Cette configuration correspond au moment où l’anomalie chaude se retrouve sous le côté polaire du jet, juste à l’avant de l’anomalie froide. Ces anomalies vont forcer l’air chaud à s’élever à l’avant du système, on parle d’ascendance. Au contraire l’air froid va s’abaisser à l’arrière, on parle de subsidence. Trois facteurs commandent le développement et l’activité des dépressions : la puissance du courtant jet, l’anomalie froide d’altitude et la position de l’anomalie chaude de surface. C’est l’interaction de ces 3 facteurs qui sera à l’origine d’un passage nuageux, du mauvais temps ou d’une tempête.
Encore une fois reprenons les conditions de la tempête du 23/01 (position du jet et anomalies). Voici plusieurs configurations pour estimer le temps qu’il fera :
Importance du positionnement des anomalies
Courant de jet puissant + grande anomalie d’air chaud :
Config. 1 : Masse d’air chaude au vent (du jet), de la masse d’air froid d’altitude : compte tenu de la grande taille de l’anomalie chaude, une dépression c’est creusé, mais cette dépression va probablement être amoindrie par la position de l’anomalie d’altitude. Avec une anomalie chaude importante et une puissance élevée du courant de jet, la dépression aurait pu être importante. Mais ici, situé à l’ouest de l’anomalie d’altitude, elle ne se renforcera pas beaucoup et n’entrainera qu’une perturbation moyenne et du mauvais temps passager.
Config. 2 : L’anomalie chaude va interagir efficacement avec l’anomalie froide elle-même piloté par le courant de jet très rapide : tempête
Config. 3 : La vaste anomalie chaude, au contact du courant de jet rapide, va croitre modérément car pas d’interaction avec l’anomalie froide très à l’ouest. Perturbation entrainant quand même du mauvais temps.
Importance de la taille de l’anomalie d’air chaude
Courant de jet puissant + anomalie en position config. 2 :
Config. 2 et anomalie chaude de grande taille : L’anomalie chaude va interagir efficacement avec l’anomalie froide elle-même piloté par le courant de jet très rapide : tempête
Config. 2 et anomalie chaude de petite taille : L’anomalie modeste au départ, va être relativement bien renforcé par l’interaction avec l’anomalie d’altitude, renforcée elle-même par les vents très puissants du courant jet. Il y a un risque de tempête même si probablement peu de régions seront concernées.
Importance de la vitesse des courants de jet
Anomalie chaude de grande taille + anomalie en position config. 2 :
Config. 2 et fort courant de jet : L’anomalie chaude va interagir efficacement avec l’anomalie froide elle-même piloté par le courant de jet très rapide : tempête
Config. 2 et faible courant de jet : L’anomalie chaude importante, se voit renforcée par l’interaction avec l’anomalie d’altitude, même si celle-ci reste modeste du fait de la vitesse modérée des vents dans le courant de jet. Donc, du très mauvais temps sur la France surtout pluvieux, les vents resteront modérés.
Pour en revenir à la tempête du 23/01, voici comment était orientés les vents :

ZOOM SUR LA COUPE DU COURANT-JET

Les isolignes rouge foncé fournissent une information reliée à la température (il s’agit d’une forme d’entropie). Une des principales différences entre troposphère et stratosphère est l’empilement de ces isolignes sur la verticale : marqué dans la stratosphère, plus lâche dans la troposphère. Plus cet empilement est important, plus il est difficile à des particules d’air de se déplacer verticalement. Les isolignes blanches et les plages bleues représentent le vent horizontal qui traverse cette coupe. Elles mettent en évidence un tube de vent fort, maximum à la tropopause : le courant-jet. Il est intéressant ici de remarquer que le courant-jet se situe à l’aplomb d’une zone où, près de la surface, la température varie notablement selon l’horizontale : une concordance imposée par l’équilibre hydrostatique et par la rotation de la terre.